Matmatah : « On s’est retrouvé porte-étendard de la culture bretonne, mais c’était une imposture » [VIDÉO]

"On se sent plus Brestois que Breton", confie le leader du groupe Tristan Nihouarn. | © Lenny Urbain
Le groupe de rock brestois revient avec son nouvel album Miscellanées Bissextiles. Une œuvre musicale fidèle à l’identité du groupe. Matmatah sera en concert à Bruxelles le 11 mars prochain.
Qui n’a pas passé une soirée ou un mariage sans danser sur « Lambé » ? Si leur premier album pouvait avoir des couleurs bretonnes, le groupe a rapidement opéré un virage rock sans renier ses origines. Un succès et une notoriété qui ont franchi la frontière belge pour trouver son public également chez nous. Avec « Emma », « Au conditionnel », « L’apologie » ou encore « La cerise » (pour ne citer que ça), Matmatah a enchainé les tubes tout en gardant son identité.
Le groupe brestois revient avec son sixième opus Miscellanées Bissextiles. Un ambitieux double album qui débute avec « Erlenmeyer », un morceau qui dure plus de 19 minutes. Presque un exploit dans la société actuelle où la liberté artistique est souvent freinée par les dictats commerciaux avec un format de 3 minutes. Une montée en puissance qui vacille dans l’exploration musicale. Un premier morceau à l’image de l’album où Matmatah affirme son envie de faire de la musique qui lui plait et à son image. Un album rock qui plaira aux fans de la première heure.
ParisMatch.be a rencontré le leader du groupe, Tristan Nihouarn, et le nouveau guitariste Léopold Riou à l’occasion de leur venue à Bruxelles pour leur concert le 11 mars prochain à La Madeleine.
Comment vous expliquez que votre musique ait touché autant de monde, au-delà de la Bretagne ?
Tristan Nihouarn : Je ne sais pas… si on savait, on serait producteur ! Mais je pense que c’était sincère, c’est tout. Il y avait des influences bretonnantes dans certaines chansons, mais la musique bretonne, la vraie, on ne sait pas la faire. Et on s’est un peu retrouvé porte-étendard de cette culture-là, mais c’était une espèce d’imposture. Donc on a fait un premier virage rock pour que les gens comprennent. Et sur le dernier album, on a invité pour la première fois des musiciens traditionnels… peut-être pour se faire pardonner… (rires).
Lire aussi > Martin Luminet se livre avec sincérité et poésie dans son premier album « Deuil(s) »
Vous parlez de « Trenkenn Fisel » où vous avez fait venir un bagad breton (instrument traditionnel) dans une chanson électro-rock. Comment vous est venu cette étonnante rencontre ?
Tristan Nihouarn : Le festival des Vieilles Charrues nous a invités pour la trentième édition et on voulait faire quelque chose de particulier. On s’est dit que ce serait pas mal de marier les musiciens traditionnels avec notre musique. On a donc composé un morceau et on a contacté David Pasquet (un joueur de bombarde) pour vérifier que ce soit jouable avec des instruments traditionnels. C’est un long morceau instrumental où deux mondes très différents se rencontrent. Ce n’était pas simple, mais on l’a fait !
Vous avez également une chanson qui s’appelle « Brest-même ». Comment vous expliquez encore cet attachement à votre région natale ?
Tristan Nihouarn : Brest est notre port d’attache, et puis c’est surtout une ville inspirante. En fait, on se sent plus Brestois que Breton d’ailleurs, je dirais qu’on est plutôt un groupe de rock Brestois. C’est une ville portuaire, c’est une ville prolétaire, c’est une ville rock, cosmopolite. Ce n’est pas la plus belle ville du monde architecturalement, mais c’est plus une beauté intérieure, on va dire : ce sont les gens qui sont intéressants, les histoires…
La première chanson de l’album, « Erlenmeyer », dure 19min06. C’est extrêmement rare d’avoir d’aussi longues chansons. Est-ce que c’est quelque chose que vous pouvez vous permettre maintenant mais que vous n’osiez pas à vos débuts ?
Tristan Nihouarn : Oui, mais je pense que tout le monde devrait pouvoir se le permettre. Au-delà des diktats marketing, à un moment donné, on est là pour l’artistique. Et dans la mesure où on faisait un double album, on s’est dit « on y va ». C’est plus compliqué sur un simple parce que ça fait déjà quatre chansons sur l’album. Et puis on est une génération qui écoutait des formats à rallonge comme ça, et on adorait. Alors pourquoi ne pas le faire ?
Après il ne faut pas le faire pour le faire. Il faut que ce soit justifié, mais c’est une aventure musicale que de faire un morceau aussi long que ça. On apprend des choses.
Et comment avez-vous conçu ce titre en particulier ?
Tristan Nihouarn : On sortait de tournée, donc on voulait faire de la musique mais pas forcément se voir, donc on s’est dit qu’on allait télétravailler. On a été précurseurs, là-dessus ! La chanson faisait déjà cette longueur, mais il y avait juste une boîte à rythmes et un piano. Chacun a travaillé dans son coin et puis on a rassemblé toutes nos idées. C’est un peu Frankenstein cette chanson ! Le plus difficile a été que les transitions soient naturelles. On est arrivé au bout, mais on ne recommencera pas de sitôt parce que c’est quand même beaucoup du boulot !
L’important, c’est d’avoir l’envie. On s’est arrêté parce qu’on sentait qu’il y avait une usure.
Vous vous êtes séparé pendant près de dix ans. Est-ce que vous aviez besoin de cette pause pour mieux revenir ?
Tristan Nihouarn : Oui, c’était nécessaire de faire une pause. On s’en rend de plus en plus compte avec le recul. Ça nous a permis de vivre des choses qu’on ne pouvait pas vivre en étant tout le temps sur la route. Et ça a permis de recharger les batteries aussi, et ne pas devenir un groupe qui est usé au bout de trente ans de route. Il y a eu une fraîcheur et l’envie après de se retrouver. L’important, c’est d’avoir l’envie. On s’est arrêté parce qu’on sentait qu’il y avait une usure.
Est-ce que vous en avez marre qu’on vous parle toujours de « Lambé An Dro » ?
Tristan Nihouarn : On ne nous en parle pas forcément souvent. Ce n’est pas une chanson qu’on renie, surtout pas. On n’est pas du genre à écarter nos succès sous prétexte que ce sont des trop gros succès et qu’on les a trop joué. Évidemment, artistiquement, on en a fait le tour, mais il se passe quelque chose avec le public quand on la joue en concerts… Il se l’est appropriée, il participe à la chanson.
La construction de votre nouvel album vous a pris quatre ans, avec le confinement au milieu… Est-ce que ça a été différent des autres albums ?
Tristan Nihouarn : Il y a eu des passages difficiles parce qu’il y avait surtout une sidération de tout ce qui est arrivé. Il y avait pas mal de textes qui étaient déjà écrits et j’ai eu l’impression qu’on allait tout mettre à la poubelle parce qu’on était dans le monde d’après et que tout était devenu obsolète. Et puis finalement, on s’est rendu compte que le monde d’après n’était pas si différent du monde d’avant et que non seulement, on n’était pas obligé de mettre les textes à la poubelle, mais ils prenaient aussi une autre consistance. On avait même des textes qui devenaient plus intéressants : on ne bouge pas le texte, on change le contexte et il se passe un truc. Il y a des phrases qui prennent un autre sens d’un coup.
Léopold, vous avez rejoint le groupe l’année dernière, comment vous vous êtes rencontrés ?
Léopold Riou : La première fois qu’on s’est vus, j’avais deux mois ! Mon père a un groupe de rock (Red Cardell, ndlr) et Matmatah a joué juste avant eux sur l’un de leurs premiers festivals. Vu que mon père était tout le temps en tournée, ma mère m’a amené à la balance pour qu’il puisse me voir un peu. Quand on est arrivés, c’était Matmatah qui faisait sa balance. Donc l’histoire veut que les premières personnes que j’ai vu jouer de la musique avec des instruments, il se trouve que c’était eux en fait. (rires)
Tristan Nihouarn : On ne s’est pas dit à l’époque que c’était le prochain… (rires) Et puis on cherchait un guitariste, on le connaissait de réputation donc on l’a contacté. Et puis son père était trop vieux, il ne faut pas déconner non plus (rires).
Ça fait quoi de rejoindre Matmatah plus tard ?
Léopold Riou : C’est génial. C’est une fierté en tant que musicien, et puis aussi en tant que Breton. J’ai grandi avec la plupart de leurs succès. J’écoutais « Au conditionnel » quand j’étais jeune sur mon baladeur CD dans la voiture, j’étais fan. Plus tard, on écoutait « L’apologie » et « Lambé » à fond dans toutes les soirées… Je n’aurais pas pu rêver mieux comme groupe de rock pour commencer.
Voir cette publication sur Instagram
Le 11 mars vous serez à La Madeleine à Bruxelles. Comment vous trouver le public belge ?
Tristan Nihouarn : Le public belge est très très bien, mais il faut quand même qu’il fasse attention à sa santé ! La dernière fois qu’on a joué à la Madeleine, il y a un gars du public qui s’est vraiment fait très très mal, il était inconscient et on a eu très peur. On a dû arrêter le concert pendant une demi-heure, en attendant les secours… Il va bien, mais bon, il s’est quand même cassé une omoplate. Donc le public belge : Soyez fous, mais faites attention quand même, parce qu’on a eu peur la dernière fois !