Zazie : « Ma lutte à moi c’est de ne pas me conformer aux injonctions de la société »

« Je ne veux pas être menée par la vie mais la mener » nous explique la, chanteuse française ! | © DR
Un peu rebelle, franchement audacieuse, Zazie a vendu des millions d’albums et continue à drainer les foules dans des concerts aux allures de fête. Elle reprend sa tournée où figurera en bonne place son dernier album Aile-P, aux tempos électriques.
La tête dans les nuages et la révolte au cœur, elle témoigne sans faiblir de ses engagements, de ces scènes de vie qui touchent à l’universel. Zazie est un mélange de douceur et de feu, toujours en mouvement. Une rencontre empreinte d’humanité et d’humour.
Paris Match. Votre nouveau single « Couleur » est très représentatif de votre album mais aussi de cette sensibilité présente dans tous les autres.
Zazie. Il y a des thèmes d’actualité tristement récurrents et celui-ci, la couleur de peau et la différence, en fait partie. Il est important de ne pas ghettoïser ce genre de propos, qu’il ne soit pas juste la revendication de certaines communautés mais bien de tous. Si le sujet est devenu politique, il est avant tout social. Il s’agit juste de parler d’humanité, en tout cas de celle qui reste.
« Lève-toi » renvoie notamment à votre titre « Speed », succès immense sur votre précédent album. Votre propos est-il de ne pas se laisser abattre mais d’avancer, même quand l’existence bouscule.
J’aime faire des textes qui font l’élastique entre mon propre vécu, qui n’échappe aucunement à ce que le monde nous propose de sympa et de morose, et celui de chacun et chacune d’entre nous. Dans « Speed » je parlais à mon petit cœur pour lui dire de se bouger, ici je parle de mon humanité rejoignant celle des autres. Depuis le Covid, nous avons parfois tendance à vouloir nous protéger et nous enfermer, entre sidération et fascination, mais sans agir. Or, il faut aussi se demander « J’en suis où, moi, de l’humanité ? », se réveiller par rapport à nos valeurs fondamentales. J’ai commencé à écrire « Lève-toi » alors que ma tournée s’était arrêtée brusquement, comme pour nombre de saltimbanques. Je pensais au début que le repos forcé serait bienvenu. Très vite, après avoir contemplé mon plafond et dévoré des séries, car nous avons aussi droit à la paresse, j’ai décidé de faire quelque chose de ce moment particulier. Prendre le temps d’être triste, joyeux, en colère, sans courir après un métier et une réussite sociale au point de se perdre de vue, est salutaire. Après, il faut réagir. Nous vivons dans une société où il faut toujours être heureux, beau, de bonne humeur et surtout compétitif, un mot absolument obsolète à mes yeux.
La constance de la communauté Zazie tient-elle à votre sens de la vérité ?
J’ai la chance de ne pas pouvoir être quelqu’un d’autre que moi. On nous demande souvent, dans ce métier, d’être plus ; plus maquillée, plus belle, au taquet… Je ne refuse pas l’idée de joliment m’apprêter lors d’un rendez-vous. Mais pour les femmes d’un certain âge comme moi, il existe beaucoup de conventions. Or, je ne pourrais pas durer de la façon dont je le fais si je n’étais pas moi-même. Partir de soi me semble nettement moins schizophrénique !
Que ce soit rester vrai et authentique ou porter un masque, les deux ne sont-ils pas énergivores ?
En effet, il est aussi compliqué de rester soi-même, de ne pas teindre ses cheveux et de laisser visibles les signes d’un âge que j’assume complètement, quand on se retrouve surexposé. Lors de mes dernières promotions en Belgique, pas un ou une journaliste ne m’a fait la moindre remarque sur mon image. En France, on ne me parlait, en majorité, que de ça, la musique passant au second plan. Mon âge, 58 ans, n’est ni un gros mot ni une insulte. Alors oui, la vérité est très énergivore ! Il faut juste tenir bon et ne pas trop lire les posts sur les réseaux sociaux.
Pastilles de couleur
Choisissez-vous des mélodies pour que vos chansons donnent envie d’écouter ET de danser ?
L’idée me séduit. Quand le propos s’annonce sombre ou austère, j’aime le paradoxe. Je cherche les vecteurs d’émotion pour atteindre le cœur des gens, à eux de décider ce qu’ils ont envie de picorer. J’accorde de plus en plus de temps à écrire mes textes, à les peaufiner, en acceptant davantage une forme de poésie, et donc d’inexactitude. L’écriture est très présente dans ma vie, je suis entourée de cahiers qui traînent un peu partout, je tisse ma toile avec des bouts de phrases, une façon de ressentir le monde. Les mots sont des amis mais ne contiennent pas toujours le sens désiré, d’où l’intérêt de les mettre en musique. Les chansons sont comme des pastilles fixées sur un moment, heureux ou malheureux. Souchon dit merveilleusement que « chanter c’est lancer des balles pour que quelqu’un les rattrape ». Je ne choisis pas les personnes qui réceptionnent mes chansons, mais quand elles touchent le public et que je le vois en concert, je ressens un peu de fierté et beaucoup d’émotion.
Lire aussi >Le nouveau look ultra désinvolte de Zazie casse la toile
« Je ne veux pas être menée par la vie mais la mener »
La chanson « Gilles » illustre nos énervements à travers pas mal d’invectives.
Plein de gens se sont demandés si cette pauvre Zazie avait pété un câble. Je n’ai pas voulu poser un acte transgressif. Mais comment parler de tout « ça », l’état du monde, la campagne électorale en France, la guerre, George Floyd… Je suis partie de l’humour car dans certaines situations, graves ou simples comme un embouteillage, on peut se laisser gagner par un petit syndrome de Gilles de la Tourette. Les insultes fusent, de façon impulsive. Si j’arrive à ce que le public chante avec moi « Et m… », ça nous fera beaucoup de bien. Ma guerre à moi est de dire mes réflexions en chansons. Comprendre la barbarie ne signifie pas l’excuser. Comprendre vient du latin, « prendre avec ».
Que ressentez-vous pour la Belgique qui vous est fidèle depuis vos débuts ?
La Belgique est assez fascinante pour nous Français. Comme vous êtes entourés par d’autres pays, et parlez plusieurs langues, nous ressentons très fort votre ouverture d’esprit. Je ne dis pas que vous vous côtoyez sans incidents mais vous avez une curiosité artistique, et notamment musicale. En France, pays très classique, nous avons les droits de l’Homme, un principe pas vraiment idiot vous en conviendrez. Mais nous restons quand même fermés sur un certain quant-à-soi. Bien sûr, j’ai été bercée par de grands chanteurs belges, comment ne pas parler de Brel ou de Maurane, mais la relève est là avec, par exemple, Pierre De Maere. Venir chez vous est toujours un bonheur. Mais rien n’est acquis et tant mieux. Si le public s’ennuie il vous le fera aussi sentir. Une belle exigence qui nous force à donner des concerts comme on les aime.
Votre style vestimentaire va-t-il de pair avec votre soif de liberté ?
Je suis née en 1964, Mai 68 n’était pas loin, j’étais évidemment trop jeune mais mon père, architecte, m’a emmenée dans les amphithéâtres en grève, je trouvais ce sentiment de liberté normal puisque j’ai baigné dedans. J’ai été mannequin, il est très agréable de porter de belles fringues mais ça ne vous définit pas, alors j’organise mon propre « gloubiboulga », je sais ce qui me va. Je n’aime pas les vêtements qui me contraignent, même si je fais l’effort en soirée. J’ai donc définitivement banni les talons hauts tout en restant féminine. J’éprouve autant de plaisir à porter des tenues de Saint-Laurent que des petites pièces trouvées en solde dans mon quartier du 20e. Je vise le confort, je peux porter un vêtement qui a 25 ans, une pièce intemporelle classique chic, mais toujours en y mettant un peu de folie. Ma lutte à moi c’est de ne pas me conformer aux injonctions de la société : celle de la tristesse, du bonheur, de l’apparence… Dépoussiérer tout ce qui peut vous formater. Je ne veux pas être menée par la vie mais la mener.
Études littéraires, trois ans d’études de kiné, le mannequinat… Cela a-t-il changé votre rapport au corps ?
Oui et non, toute expérience a du bon. Mes études de kiné m’ont appris comment fonctionnait mon corps, même au niveau du chant. Oui car défiler sur un podium pour des marques de prestige, en intégrant les codes de lumière et de langage propres à la mode, en faisant attention de ne pas se prendre les pieds dans le tapis, vous donne une certaine assurance. Et non car être mannequin ne concerne que l’enveloppe alors que je voulais qu’on la décachette, qu’on regarde à l’intérieur. Il a fallu désapprendre ces postures et une certaine forme de politesse pour pouvoir dévoiler l’artiste. J’ai été éduquée par un père aristocrate et une mère qui ne l’était pas, la politesse était importante à la maison. Mais on peut dire les choses avec politesse mais sans être policée.
Album Zazie, Aile-P, PIAS
En concert le 3 juillet au festival Les Gens d’Ere, le 25 août aux Solidarités à Namur et le 23 septembre à Forest National.
