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Un « objet de l’exil » pour se souvenir de sa terre natale

Samira, originaire de Somalie. Le premier portrait de Vivian Olmi. | © Vivian Olmi

Photographie

Et s’il fallait choisir un seul objet pour symboliser son pays d’origine ? C’est la question posée par Vivian Olmi, photographe chilienne, à des dizaines d’élèves immigrés en Suisse. Un résultat fort qui replace l’émotion et l’humain dans la médiatisation de l’immigration.

Nés en Somalie, au Portugal, en Afghanistan ou encore en Syrie, ces adolescents ont tous vécu le déchirement provoqué par l’exil. Qu’ils aient fui un conflit armé, quitté un pays en pleine crise économique ou tout simplement suivi leurs parents, tous ont terminé leur route en Suisse. C’est à Lausanne, dans un collège, que Vivian Olmi, photographe d’origine chilienne, résidant en Suisse depuis 1980, les a rencontrés et leur a demandé de poser avec un objet cher à leur cœur, symbole de leur terre natale.

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Un foulard, une statuette, une photographie, un chien… Les objets sont variés et représentent souvent le seul lien matériel avec leur pays d’origine. Ceux qui n’en avaient pas en leur possession, comme les mineurs non-accompagnés, ont pu réaliser une représentation de l’objet qu’ils auraient voulu emporter. Tous ont ensuite écrit un texte dans leur langue maternelle pour justifier leur choix.

Ajzen, de Macédoine. « Ce foulard est très important pour moi parce que c’est le premier foulard que m’a donné ma grand-mère. Quand je le mets, ça me rend heureuse parce que je me souviens de ma vie d’avant » © Vivian Olmi

Ajzen n’est pas la seule à mentionner sa famille. De nombreux adolescents ont choisi d’en parler comme si le lien familial manquait plus que lien physique au pays. Curieux de la part de ceux qui sont censés être en plein âge rebelle, s’éloignant le plus possible de leurs parents. Preuve que ces enfants ont grandi trop vite.

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Projet autobiographique

L’idée du projet « L’objet de l’exil », Vivian Olmi la doit surtout à sa propre expérience d’immigrée. Née au Chili, elle a quitté son pays sous la dictature de Pinochet en 1980, à l’âge de 20 ans, pour arriver en Suisse. « Ma famille me manquait terriblement, ainsi que le soleil et le climat doux de la région d’où je viens. Je voulais retourner tous les jours dans mon pays, mais d’un autre côté, je voulais montrer à mes parents que j’étais capable de me débrouiller toute seule », explique la photographe qui décida ensuite d’aller de l’avant.

Après quatre ans de cours de langue, son intégration a réellement commencé lorsqu’elle a débuté ses études de photographie, entourée de locaux. « Les Suisses se montraient empathiques envers mon pays et me posaient des questions sur le coup d’été au Chili. Je peux vous dire que c’est entre autre à cause de ce contexte politique dans mon pays que j’ai pu avoir facilement des amis suisses », ironise-t-elle.

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Forte de son expérience, Vivian Olmi comprend mieux que personne la douleur que peut ressentir un étranger lorsqu’il doit quitter son pays. « Lorsqu’on est obligé de le faire, c’est vraiment difficile de partir. On ne peut s’empêcher de penser que ce serait peut-être mieux de ne jamais se déraciner, explique la photographe. Et lorsqu’on arrive seul et qu’on ne parle pas la langue du pays d’accueil, c’est d’autant plus difficile. On ne connaît personne et on est triste ».

Son objet qui la relie au Chili

© Vivian Olmi

Comme ces 38 adolescents qu’elle a photographiés, Vivian Olmi est, elle aussi, arrivée en Suisse avec un objet précieux à ses yeux : un album de photos avec une gravure, représentant « un paysage champêtre de la cinquième région dont je suis originaire », précise-t-elle.

Au-delà de son attachement à son pays et plus particulièrement à sa région, cet album représente également une fierté et la famille. « Je l’ai gagné lors d’un concours de natation pendant une colonie de vacances scolaire, en 1970 », explique la photographe qui avait alors 10 ans. « J’adorais partir en colonie avec ma sœur aînée, et je n’oublierai jamais les moments heureux passés là-bas. Cet objet a une valeur sentimentale, parce que non seulement il me rappelle ma terre mère et ma famille, mais aussi mes premiers amours platoniques, comme tout le monde, car j’étais tombée amoureuse du moniteur qui s’occupait de mon groupe. C’est lui qui m’avait donné l’album lors de la remise des prix ».

Un travail collectif

Vivian Olmi a réalisé ce projet entre 2015 et 2016 mais il était depuis bien longtemps casé dans un petit coin de sa tête. Avec un mari enseignant dans une classe d’accueil, la concrétisation a été plus facile. Il a pu demander à ses élèves s’ils avaient tous pris un objet cher à leur cœur au moment du départ. Première confirmation.

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Obtenir l’accord du directeur, des quatre classes d’accueil, des familles ainsi que la confiance des élèves étaient les étapes suivantes. Pour l’aider dans sa démarche, elle a pu également compter sur les enseignantes et des traducteurs. Un travail qui aurait été plus long et difficile sans leur aide. Après cette longue préparation, le projet pouvait enfin commencer.

Mlue, d’Érythrée. « J’aimais beaucoup mon chien parce qu’il était très gentil et très fort. Je l’avais appelé Costaud. Je gardais les moutons et quand je lui disais de faire un travail, il le faisait très bien. Maintenant que je suis en Suisse, je suis séparé de lui et ça me met en colère chaque fois que je pense à lui ». © Vivian Olmi

Une démarche humaniste, et non « voyeuriste »

Pour rassurer les modèles d’un jour, Vivian Olmi a décidé de les photographier à l’école, « leur premier lieu d’intégration » mais aussi l’endroit qui « représente, pour eux, l’avenir, l’espoir de devenir quelqu’un, de pouvoir trouver plus tard un travail ». En les photographiant de face, droit dans les yeux, Vivian Olmi a voulu provoquer un échange de regards et éviter la position de « voyeur ». La meilleure manière pour instaurer une confiance et obtenir un résultat plus fort.

La photographe a particulièrement été touchée par les textes qu’ont écrits les mineurs non accompagnés. « Ils n’avaient probablement pas eu envie de quitter leur pays d’origine. C’est pourquoi l’objet de certains élèves exprime leur rêve de venir avec un membre de la famille, ou un animal de compagnie, ou un bout de leur pays ». C’est le cas de Mlue, fâché d’être séparé de son chien ou Abed qui aurait voulu arriver en Suisse avec sa maman. Il a choisi comme objet un portrait d’elle parce qu’il sent que sa vie est brisée par son absence.

Abed, d’Afghanistan. « À part Dieu, tout ce que j’ai au monde, c’est ma mère. (…) Maman, tu es la seule tranquillité dans mon cœur, je n’oublie pas ton amour, tes mots. Depuis que je ne te vois plus, je suis brisé, mon dos s’est brisé. La vie est morte, la lumière de mon cœur s’est éteinte. (…) N’oubliez jamais l’importance de votre mère et de votre père ». © Vivian Olmi

Chaque enfant, en présentant son objet, livre une part de son intimité, de son histoire. Mais c’est aussi l’occasion pour eux d’affirmer leur singularité, « de dévoiler une carte d’identité moins froide et impersonnelle que celle qu’on leur demande de présenter à la frontière de notre pays ».

À travers ces portraits, Vivian Olmi offre à ces adolescents un moyen de s’exprimer, elle rend hommage à leur courage et favorise un autre regard sur les immigrés, plus touchant et humain. « Ils sont trop souvent stigmatisés, alors que nous avons tant à apprendre d’eux ».

 

Si vous êtes de passage en Suisse, les 38 portraits immortalisés par Vivian Olmi sont à découvrir à la galerie Focale, à Nyon, jusqu’au 24 septembre. Autre solution, plus accessible, vous pouvez vous rendre sur son site et commander son livre.

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