Un père, un cancer : La maladie d’humour de Gilles Dal

"Laurence Bibot est impeccable. Son jeu est préics, et elle apporte la légèreté dont on a besoin dans ce sujet", estime Gilles Dal. | © TTO
L’auteur et chroniqueur bruxellois Gilles Dal a écrit une pièce humoristique sur le cancer de son fils, avec en toile de fond un combat méconnu : celui pour de nouveaux traitements anticancéreux pour les enfants.
Laurence Bibot porte deux oreilles en fourrure risibles et un nez écarlate, dans la peau cette fois d’un clown triste. Soit tout l’inverse de la pièce dont elle foule les planches, ce soir encore : présumée dramatique, mais comique autant qu’il se peut. Car Tout va très bien a beau être l’histoire d’un cancer d’enfant, sans le gamin en question dans son lit d’hôpital, c’est vers ses parents qu’on se tourne. Et plus que la terrible maladie, le père – faussement désinvolte – et la mère – aussi sensible qu’organisée – doivent traverser les maladresses, fausses bonnes idées et excentricités terribles des uns et des autres : proches parents lointains, coachs charlatans et amis mal avisés. Alors on rit. D’abord malgré soi, puis de tout son saoûl, tant qu’à faire.
En général, même les gros gaffeurs vous veulent du bien.
« Je n’ai certainement pas voulu rire du cancer de mon fils », se défend Gilles Dal, l’auteur de la pièce qui se joue jusqu’au 24 février au Théâtre de la Toison d’Or. Il précise : « J’ai voulu rire des situations sociales que crée l’annonce d’un cancer. Comme ce sont des situations où il n’y a pas vraiment de codes sociaux, de conventions, souvent les gens sont très mal à l’aise – et on les comprend. Mais c’est là que commencent les gaffes ». Et là où il y a de la gêne, il y a beaucoup de plaisir dans Tout va très bien. On s’y moque avec bienveillance de ceux qui n’ont pas les mots, ceux qui en déversent trop et ceux qui pensent guérir tous les maux d’une bonne tape dans le dos. Le fond est dur, bien sûr, mais la forme, elle, fait office de sparadraps comique sur un quotidien qui renvoie chacun à ses propres démons. « Le but était de témoigner sur tout ce qu’il y a autour de la maladie d’un enfant, plutôt que d’essayer de me délester d’un poids personnel et l’imposer aux gens qui ont déjà chacun leurs soucis », explique d’ailleurs Gilles Dal.
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Comique de service
Avant le spectacle, il s’était bien essayé à l’humour dans des chroniques sur La première, mais jamais à une telle entreprise. Une pièce non-préméditée, d’ailleurs, puisque venu proposer l’organisation d’une soirée de levée de fonds au TTO, il s’était vu répondre par la metteuse en scène Nathalie Uffner que tout de même, le théâtre, c’était plus drôle que la philanthropie pure. Mais Tout va très bien n’en est pas non plus dénué, puisqu’un euro par place vendue est reversé à la Fondation Kick Cancer. Un geste qui fait sens, dès lors que cette dernière compte dans son conseil d’administration l’auteur en question.

Le combat est né dans la famille, endossé par Raphaël, son fils, atteint à presque neuf ans d’une tumeur au pied. « Quand Raphaël a été diasgnostiqué en 2013, il y avait tout un protocole déjà en place. On fait ce que demandent les médecins, c’est dur, mais tout se passe bien. Il y a les chimios, l’amputation, mais ça va. Puis il y a la rémission, et la guérison », raconte Gilles Dal. Mais ensuite vient la rechute. Et là, plus de protocole en vue, tandis que les médecins se chamaillent les solutions – que personne ne semble vraiment avoir. Delphine Heenen, la mère de Raphaël et « une âme d’enquêtrice » se lance à la poursuite d’un traitement pour son garçon.
« Le rire ne remplacera jamais un bon médicament »
Mais « la plupart des médicaments qu’il recevait avaient 40, 50, parfois 60 ans. Pourtant, il y a des tas de progrès dans la médecine ! On en est fiers, et à juste titre. Sauf qu’il y a tellement peu d’enfants qui ont le cancer, que ce n’est pas rentable de faire de la recherche là-dessus », poursuit le père. Avec « seulement » 35 000 nouveaux cas en Europe par an, la recherche contre le cancer des enfants n’est pas une priorité. Pourtant, on connait les molécules qui pourraient potentiellement les guérir, mais on refuse de les tester sur ces petits corps. « C’est une responsabilité que les laboratoires pharmaceutiques ne veulent pas endosser, parce que ça peut être terrible pour leur image de marque », explique Gilles Dal, « Notre combat consiste donc à les inciter à tester des molécules, qui ont de bonnes chances d’être efficaces sur des enfants ».
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À travers la Fondation Kick Cancer, toute la famille, avec Delphine Heenen en première ligne, devient ainsi lobbyiste. Recherche de financements à travers des campagnes participatives et concertations aux niveaux européen et fédéral font désormais partie du quotidien de cette mère engagée, après des mois à courir les hôpitaux avec Raphaël. Et bien que le fiston soit désormais guéri, la lutte continue. Car alors que plus de 50% des médicaments administrés aux mineurs ne sont officiellement pas autorisés – mais efficaces -, nous apprend l’association française « Enfants sans cancer« , certaines anomalies spécifiques aux petits impliquent de développer des traitements spéciaux.

Si une posologie adaptée à leur poids et à leur taille, sur base de molécules destinées aux adultes, permet déjà de soigner 80% des cancers, la toxicité des chimiothérapies à en effet des conséquences, à long, terme, sur la santé des enfants. « Le rire ne remplacera jamais un bon médicament », martèle Gilles Dal, même si, de son côté, « l’humour, c’est tout ce que j’avais à ma disposition », confie-t-il. « Certaines personnes aiment organiser, et moi je suis très mauvais en organisation. J’ai donc fait ce que je pouvais », avec une pièce qui rue dans les branquards aussi bien qu’une campagne nationale.
Faites un vœu
Quant à Raphaël, dont la maladie est le point de départ de toute cette aventure humoristique tant qu’activiste, il s’est relativement peu investi dans la pièce. « Les enfants restent des enfants, mais ont aussi à la fois cette forme de gravité liée aux circonstances. Ça fait un drôle de mélange. Mon fils me parle de dessins animés, puis de l’infinité de l’univers », raconte le père. C’est que le gamin a surtout d’autres rêves que les planches : le cinéma. Épaulé par une association, il s’apprête, à 13 ans, à entamer son premier tournage. L’histoire de ce film ? « Je l’ignore ! Il n’avait pas non plus voulu voir la pièce avant : il préfère les produits finis », sourit Gilles Dal.
Tout va très bien, jusqu’au 24 février au Théâtre de la Toison d’Or.