Payer sa place en fonction de ses moyens, la bonne idée du Public

Pour Le Public, le théâtre crée des liens. Et pour ne pas les briser, il faut rendre la culture accessible à tous. | © Kilyan Sockalingum / Unsplash.
Payer sa place de théâtre à prix libre et en fonction de ses moyens, voilà la nouvelle idée du théâtre Le Public, à Bruxelles, qui testera ce nouveau modèle tarifaire équitable durant tout le mois de février.
Acheter sa place de théâtre, ce n’est pas toujours donné. Plus cher qu’une place de cinéma ou une expo et moins populaire qu’un concert, le théâtre semble avoir du mal à se défaire de son image élitiste qui en freine plus d’un. De plus, la conjoncture actuelle étant ce qu’elle est (les nombreuses manifestations des gilets jaunes n’ont pas cessé de nous le rappeler ces dernières semaines), les événements culturels ne sont tout simplement pas accessibles pour une partie de la population. « Beaucoup de personnes ont déjà du mal à joindre les deux bouts. Après avoir payé pour tout ce qui est de première nécessité, est-ce que les gens ont encore de l’argent pour la culture » ? Cette interrogation, c’est le théâtre Le Public, situé à Saint-Josse, en Région bruxelloise, qui la pose. Et pour apporter un début de solution au problème, la direction a eu l’idée de proposer des places de spectacle (hors événements) à prix libre durant tout le mois de février.
« À l’origine, il y a une prise de conscience que pour certains spectateurs c’est compliqué financièrement et qu’ils ne peuvent plus venir au théâtre. On ne peut pas faire comme si on n’entendait pas, on ne peut pas ne rien faire », explique Gaétan Bergez, le responsable de la communication. Résultat : pendant tout le mois de février, les réservations pour tous les spectacles de cette fin de saison (donc jusqu’à juin) se feront à prix libre, à partir de 5€ (par tranche de 5€) mais sans limite de participation. Pour mémoire, le prix d’un spectacle classique pour adulte est de 26€. « On a dressé un constat, maintenant il faut agir et changer notre mentalité », explique encore Gaétan Bergez. « Essayons ensemble des chemins neufs qui mènent à un accès à la culture plus juste et ouvert à tous les citoyens. »
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Une action solidaire
Concrètement, à chaque réservation faite durant le mois de février, c’est le spectateur qui fixera lui-même son prix en fonction de ses moyens, pas en fonction de sa fiche de paye donc. Aucune justification ne sera demandée, le spectateur sera le seul juge du montant qu’il estime pouvoir consacrer pour aller au théâtre. Et non pas quel montant il estime que la pièce qu’il va aller voir vaut, car même si cela pourrait sembler juste, on manquerait l’objectif de la démarche du Public qui est de rendre le théâtre accessible.
On peut réfléchir et soupeser beaucoup de choses. Mais à un moment, il faut se lancer, sinon on ne fait jamais rien.
Et si tout le monde profite de ce mois pour acheter ses places à 5€, peu importe ses moyens? La mauvaise pub risquerait de coûter cher à l’établissement… « Peut-être qu’il y en a qui achèteront leur place à 5€ mais nous avons réalisé une enquête dans laquelle on se rend compte que certains spectateurs se disent prêts à mettre plus que ce qu’ils payent actuellement. On peut réfléchir et soupeser beaucoup de choses. Mais à un moment, il faut se lancer, sinon on ne fait jamais rien ». Sur leur site internet, ils expliquent la démarche de manière assez utopique : « Conscient des enjeux de la répartition des richesses, et sans présager du résultat, le Théâtre Le Public tente, pendant un temps, une transformation de nos habitudes. Nous pensons qu’il n’y a pas de fatalité en matière de partage, qu’il y a des alternatives à la marche du monde. Nous vous proposons un moment d’utopie. »

Dans leur enquête, 44% des interviewés trouvent l’idée d’acheter sa place en fonction de ses moyens « utile et nécessaire » et autant la juge « positive ». En ce qui concerne le prix, la majorité des répondants (28%) sont prêts à mettre environ 25€ pour leur place, ce qui représente le prix le plus proche du tarif de base qui se pratique déjà. Seulement un quart des répondants payerait leur place plus chère.
Des spectacles suspendus
C’est la première fois que le théâtre tennoodois se lance dans ce genre d’expérience, mais en matière d’accessibilité à la culture, il pratique déjà certains tarifs préférentiels. Il propose notamment des tarifs Article 27 (qui a comme ambition de faciliter la participation culturelle aux personnes vivant une situation sociale ou économique difficile) et des places sont disponibles sur le site d’Arsène 50 qui propose des places de spectacle à moitié prix chaque jour.
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Une autre belle idée, qui est déjà vieille de deux ans celle-là, c’est le ticket solidaire. Vous connaissez le café suspendu qui consiste à payer un café mais sans le consommer, afin que quelqu’un d’autre, qui n’a pas les moyens de se le payer, puisse en profiter ? Ici, le principe est le même. À n’importe quel moment, un spectateur peut décider de payer une place qu’il laissera tout le loisir à un inconnu d’utiliser. Au prix de 15€, cette place est plus abordable que le tarif de base. Tous ces tarifs réduits seront maintenus pendant la durée de l’action mais les invitations seront supprimés.
Un lieu de partage
Le théâtre, et à plus forte raison la culture en général, est avant tout un lieu de rencontre et de partage. « Au théâtre, il n’y a pas d’un côté les spectateurs qui assistent et de l’autre les acteurs qui agissent. Au théâtre, la scène et la salle interprètent ensemble les œuvres, et ouvrent ainsi l’accès à soi et aux autres. Au théâtre, s’ouvrent les portes de la citoyenneté et du vivre ensemble », explique Le Public. « Dans notre société numérique et digitale, les liens se font rares. Pourtant, le théâtre permet d’être un lieu où l’on pratique la démocratie, le lien social, etc. Et il ne faut pas couper ces liens-là. » À partir de ce vendredi et pour tout le mois de février donc, Le Public tente le pari de consolider ces liens sociaux de manière solidaire et de rendre le théâtre accessible à tous. Bilan au mois de mars.