Michel Sarran : « Dans ‘Top Chef’, il n’y a pas de fake »

Michel Sarran dans les cuisines de son restaurant de Toulouse. | © AFP PHOTO / PASCAL PAVANI
Chef-juré depuis quatre ans dans « Top Chef », Michel Sarran analyse l’impact de la télévision sur la gastronomie, fromages à l’appui.
Alors même que Toulouse n’est pas exactement la porte à côté, face à Michel Sarran à Bruxelles, on serait bien mal pris de jouer les étonnés : le chef doublement étoilé a le même accent que dans le petit écran, les mêmes lunettes rondes devenues presque une signature, la même bonhommie du Sud-Ouest. Un « vu à la télé » particulièrement réaliste, mais qui dépasse aussi le cadre 16:9 qu’on lui connait. Juré presque indéboulonnable du concours culinaire « Top Chef », Michel Sarran a mérité sa toque d’or à travers des projets aussi diversifiés qu’une table classieuse dans un hôtel particulier, une brasserie à Barcelone ou encore la salle à manger d’Airbus Industrie.
Je ne me pose pas la question de savoir quel est le meilleur plat que j’ai mangé. Moi ce que je veux, c’est avoir de l’émotion demain.
C’est donc sans surprise qu’on le regarde déguster les fromages belges de chez Saint-Octave du bout du couteau, analysant chaque pâte comme un plat sous cloche. Pas assez cuit en cœur, odorant mais pas si goûteux et enfin… la révélation. Le cuisinier n’a pas besoin de connaitre le palmarès du bleu de Grevenbroecker – élu meilleur fromage artisanal au monde en 2009 – pour reconnaitre un grand frometon. Et Michel Sarran, surtout, de ne pas tomber dans le piège de la comparaison avec ceux que l’on trouve en France : les classifications et les annales qui prennent le dessus, très peu pour lui : « J’ai des souvenirs plein la tête, mais je ne m’y accroche pas : ce qui m’importe, c’est ce que je ferai demain, ce que je pourrai raconter et ce que je pourrai découvrir. J’ai envie d’être surpris et le passé ne surprend pas », décrypte-t-il, avant de replonger le nez dans le fromage en louant une culture belge du bon produit, qu’il découvre aujourd’hui.
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Dur en goût, mais pas en cuisines
Pourtant, le chef accepte de se replonger quelques instants dans ses souvenirs, ceux de ses premiers pas de chef. Dans le podcast À Poêle de Julie Gerbet, Michel Sarran avait ouvert la porte de sa cuisine, quand, les premières années, tout le monde marchait au pas rien qu’au son de sa voix. Il nous raconte : « J’ai travaillé avec des chefs un peu durs, à mes débuts. Les mots, ça peut faire aussi mal qu’une gifle. Et quand j’ai commencé en tant que chef, j’étais un peu comme ça. J’avais besoin de montrer mon autorité à travers des comportements un peu cons ».
Gueuler pour gueuler, je trouve que c’est lamentable, minable, ça ne sert à rien.
Un aspect de sa personnalité qu’on ne lui connait pas dans « Top Chef », où il est assurément le juré pédagogue par excellence, cheerleader plus que fouet de cuisine pour la brigade des jaunes. Et de fait, « un jour, je me suis dit que ce n’était pas ça que j’étais… et j’ai changé du tout au tout. J’ai commencé à privilégier le dialogue, même si au moment du service, il y a une urgence à gérer et que là il faut que chacun soit à sa place. On doit rester dans la recherche de l’excellence. Mais gueuler pour gueuler, je trouve que c’est lamentable, minable, ça ne sert à rien. Ça peut vraiment heurter des jeunes qui font ce métier ».
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Les casseroles sous les feux de la rampe
Dans « Top Chef », « pas de sévices », assure-t-il : bonne humeur et rigueur y riment comme jamais. Et le chef de féliciter les projecteurs que la télévision a braqués sur la gastronomie. « Ça apporte un certain éclairage à notre métier, qui en avait besoin. C’est une profession qui jusque-là était méconnue et qui trainait même quelques casseroles, des histoires pas toujours très sympas de mauvais traitements », poursuit Michel Sarran. Qui plus est, « Dans ‘Top Chef’, la cuisine est au cœur de l’émission : il n’y a pas de fake. Et c’est ce qui fait que je m’y sens bien, aussi. Je ne pourrais pas cautionner quelque chose de faux ».

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Quant à savoir si à force de se chauffer au star system, elle déforme l’image des chefs, il assure quant à lui être resté le même. Michel Sarran raconte d’ailleurs être sincèrement déboussolé quand quelqu’un éclate en sanglot face à lui, trop ému de rencontrer un chef de la télé. « Quand je vois comment les gens m’approchent aujourd’hui, depuis que je passe à la télé, je me rends compte que c’est bizarre, cet outil m’a transformé aux yeux des autres – alors que je suis resté le même. Je ne suis pas devenu meilleur cuisinier ou plus gentil. Mais je l’accepte pour la cuisine et si ça peut susciter des vocations ».
« La gastronomie, c’est l’excellence et ça a un prix »
Pour autant, l’émission n’a pas démocratisé l’accès à la gastronomie, qui reste beaucoup inaccessible, parce que chère. « La gastronomie, c’est l’excellence et ça a un prix. Tout le monde n’y a pas accès et ce n’est pas le but », martèle-t-il, avant de citer sa trentaine d’employés pour 50 couverts, les efforts déployés par l’argenterie, des produits précieux et des bouteilles coûteuses en guise d’argument. « C’est comme ça », insiste le chef.
Mais faut-il goûter pour apprécier, au fond ? Peut-on vraiment manger avec les yeux, et être toûché par les plats qui défilent et l’émotion qu’ils transportent ? « Quand vous regardez un Grand Prix de F1, est-ce que vous conduisez une F1 après ? Non, et bien c’est la même chose ». Tiens, Michel Sarran amateur de gros pneus et de bitume, ça, on ne l’avait pas vu venir, par contre.