Paris Match Belgique

Quand les fruits et légumes moches font recette dans l’assiette

De la beauté des légumes cabossés. | © Facebook @ Posts My Juice

Food et gastronomie

Tandis qu’au Japon, les scientifiques s’attèlent à concevoir des pastèques carrées, plus faciles à ranger, et que l’Australie jette chaque année 40% de sa production de fruits, jugés trop laids pour être manger, les initiatives se multiplient pour remettre au goût du jour les fruits et légumes bosselés. Avec pour credo, « les plus laids sont les plus beaux ». 

C’est en tout cas le mot d’ordre de Shéhrazade Schneider, issue d’une famille marocaine de restaurateurs et aujourd’hui chef du restaurant Simone Lemon, ouvert en 2015 dans le 9e arrondissement de Paris avec sa complice Elodie Le Boucher. Cheveux longs, silhouettes élancées et beautés typées, les deux comparses sont pourtant loin de miser tout sur l’apparence. Que du contraire : à la base des recettes, les « légumes moches », qui font vibrer les assiettes quand ils ne s’exposent pas dans toute leur splendeur cabossée sur les buffets du restaurant.

Lire aussi > Fini le gaspillage grâce à un site qui répertorie tous les aliments comestibles en libre accès

« Quand un producteur veut vendre à la grande distribution, il doit faire attention à l’esthétique de sa cargaison. Sinon, on peut le menacer de tout lui renvoyer » s’indigne Elodie Le Boucher au Monde. Et Shéhrazade de surenchérir : « quand je suis arrivée en France, j’ai vu les quantités de nourriture que l’on jetait des plateaux de cantines au lycée. C’était effrayant ». Alors pour ne pas jeter, elles font du bon avec du moche, inscrivant leur enseigne parisienne dans une prise de conscience plus vaste.

Les légumes biscornus sont à l’honneur chez Simone Lemon – Facebook @ Simone Lemon

Mettre fin au gaspillage

Ainsi, en 2014 déjà, le collectif français Les Gueules Cassées avait dénoncé le gaspillage esthétique en réhabilitant les « légumes moches » dans la grande distribution à un prix moins élevé que leurs équivalents lustrés et parfaitement formés. Grâce à l’étiquette ornée d’une pomme édentée, le consommateur peut repérer plus facilement les produits ayant des défauts de forme, d’aspect ou de calibre, mis en vente 30% moins cher. Une initiative qui a depuis fait des petits en Angleterre, au Japon, en Allemagne ou encore aux États-Unis. En France, l’opération avait notamment été relayée par Intermarché, qui avait lancé un rayon « fruits et légumes moches » en partenariat avec l’agence de pub Marcel.

Piwee

Et tandis que de l’autre côté de la frontière, la résistance s’organise, en Belgique aussi, il est grand temps de remettre les fruits et légumes moches au goût du jour. Alors qu’en Europe, près de de 90 millions de tonnes de nourriture consommable sont gaspillées chaque année, soit 179 kilos par personne, la Belgique fait partie des plus gros gaspilleurs de l’Union, avec pas moins de 345 kilos de nourriture envoyés à la poubelle par an et par personne. De quoi motiver le Bruxellois Olivier Neufkens à lancer Foodwe, une plate-forme numérique mettant en relation producteurs et transformateurs de nourriture qui veulent donner ou vendre à prix réduits leurs invendus, notamment les fruits et légumes moches.

Déficit pour les agriculteurs

Une initiative bénéfique pour les consommateurs, et un pas nécessaire vers la réduction du gaspillage alimentaire en Belgique. Où les mentalités ne sont pas si simples à changer. Selon une étude récente de l’Université de Gand, les exigences de qualité esthétique (couleur, forme et dimension) requises pour les fruits et légumes occasionnent des pertes au niveau des ventes de l’ordre de 10% pour les agriculteurs flamands. Ainsi, selon l’étude, plus de deux tiers des agriculteurs ne pourraient pas vendre une partie de leur production via le canal normal car celle-ci ne répond pas aux critères de qualité esthétique.

Lire également > Fruits et légumes moches, le déficit des agriculteurs flamands

Pour tenter de mettre un terme à ce phénomène, Delhaize a emboité le pas à la chaine Intermarché, et propose depuis 2015 des fruits et légumes « hors-normes » via l’initiative Drôles de légumes. Depuis le printemps dernier, l’initiative a été étendue à tous les magasins de la chaîne, permettant aux clients de shopper des légumes biscornus originaires de Belgique. La composition varie en fonction de l’offre du marché, et est donc susceptible de changer d’un jour à l’autre, avec toujours la possibilité d’acheter possible d’acheter 1 kilo de drôles de légumes au prix de 1 euro le paquet. Aussi bons, mais moins chers, les fruits et légumes moches auraient-ils en réalité tout pour plaire ?

CIM Internet