Par Rédaction Paris Match Belgique
Chaque année, en juin, une passe de Polynésie attire des centaines de squales aimantés par les milliers de mérous venus se reproduire. Laurent Ballesta avec son équipe s’est invité au cœur du festin. L’expédition fait aussi l’objet d’un documentaire : « 700 requins dans la nuit », diffusé sur Arte le 9 juin.
D’après un article Paris Match France de Karène Isère
Corps-à-corps de peaux froides et de regards fiévreux, dents aiguisées… Dans ce grouillement dantesque, un homme, l’œil collé au viseur. Le scénario semble briguer la Palme d’or de l’horreur. D’autant que le sang fuse. Mais c’est celui des mérous, demoiselles et poissons-perroquets. « Les requins ont une image de barbares hyper-violents, dit Laurent Ballesta. Certes, ce sont des prédateurs sauvages qui ne connaissent pas la pitié… mais ils ne connaissent pas la haine non plus. Ils ont beaucoup de mal à attraper leurs proies. J’ai voulu montrer leurs faiblesses aussi bien que leur force. » Des yeux bleu lagon, une voix mouchetée de soleil par l’accent de l’Hérault, le photographe de 44 ans joue une fois de plus les poissons-pilotes pour une épopée qui mêle splendeur des images et découvertes scientifiques.
Tout commence par une rumeur : des milliers de mérous se reproduiraient à la pleine lune dans l’atoll de Fakarava, un paradis polynésien de la taille d’un confetti. Ballesta s’y rend en 2014 et découvre un Woodstock de poissons amoureux. Et une concentration unique au monde, elle aussi, de requins gris de récif.
En journée, d’immenses groupes de squales planent dans une passe qui relie le lagon à l’océan. Ils peuvent ainsi se reposer en se plaçant face au courant car, le reste du temps, ils doivent avancer pour respirer. Quand frétille un plat du jour potentiel, ces prétendus champions de l’attaque restent d’un calme olympien. Question d’expérience. Tant qu’il fait jour, les proies leur échappent comme un savon dans une baignoire. Mais que Raa, le dieu-soleil polynésien, commence à bâiller et ils reprennent l’avantage… Alors, gare à ceux qui n’ont pas trouvé un pli de roche ou de corail pour somnoler en paix !
On croyait que les requins gris se séparaient au crépuscule pour partir chasser seuls… Les puissantes torches des plongeurs révèlent un spectacle inédit : dans les bas-fonds nocturnes, des hordes survoltées. « Au début, raconte Ballesta, on n’osait pas approcher. On restait 10 mètres au-dessus, les genoux repliés sous les épaules tant on craignait les mâchoires. Mais dans l’eau, on ne peut pas utiliser un téléobjectif comme pour un safari africain. Impossible de garder ses distances, il faut photographier à bout portant. Alors, on avançait de plus en plus. Et, une nuit, on s’est retrouvés au milieu d’une bousculade. On croit qu’on va être mordu… Mais rien. » Les « fauves » poursuivent une idée fixe, ou plutôt des êtres exclusivement pourvus d’écailles. S’ils heurtent un homme, c’est par mégarde. Gare au choc, cependant : « L’un d’eux m’a cogné la poitrine avec tant de puissance que j’en ai eu le souffle coupé. »
L’homme-grenouille est un crapaud pataud. Ni sonar ni branchies, une vision déformée, des mouvements encombrés. Face à lui, la mêlée de prédateurs semble anarchique. L’est-elle autant qu’il y paraît ? L’équipe décide de revenir. Année après année. « Ce sont les plongées les plus addictives de ma vie, assure Ballesta. On est dans l’instant. Dans l’instinct. Ça part dans tous les sens. On sent des trucs entre ses jambes, on est bousculé dans le dos, tenté de regarder partout… Au début, j’étais fasciné par le spectacle et impuissant à le restituer. Après, je me disais sans cesse de garder l’œil dans le viseur. » Il faudra 3 000 heures de plongée et plus de 80 000 clichés pour commencer à percer le mystère.
L’appareil photo enregistre des fulgurances qui échappent au regard. De retour sur terre, l’équipe visionne des milliers d’images. Et… miracle, le chaos se mue en chorégraphie. Loin d’être des individualistes forcenés, les requins gris coordonnent leur action lors des poursuites. Mais après la capture, pas de partage. Ce singulier cocktail de coopération et de compétition a tout pour enivrer des chercheurs. Voilà une aventure comme Ballesta les aime, en forme de triple défi : scientifique, photographique et sportif. « Le milieu océanique reste méconnu, car on ne peut y faire que des incursions. Avec l’impression de regarder une pièce obscure par le trou d’une serrure. »