Par Anne Boulord
Si certains producteurs se plaignent de la campagne « 40 jours sans viande » qui a débuté ce premier mars, il en est un qui défend l’initiative : Hendrik Dierendonck, éleveur et artisan-boucher, nous pousse à nous questionner sur notre consommation de produits carnés, notamment sur leur qualité. Et partage ses conseils de conservation et de cuisson.
Par Anne Boulord
© Daniil Lavroski
Hendrik Dierendock est le digne héritier d’une famille d’éleveurs et d’artisans-bouchers. Après sa boucherie et son restaurant Carcasse de Saint-Idelsbad, il a ouvert un atelier en janvier à Bruxelles. Surnommé tour à tour « le roi de la viande maturée » ou « le pape de la boucherie », il incarne parfaitement cette nouvelle génération d’artisans de bouche qui défendent un produit sain, rustique (la famille Dierendonck a son propre élevage de Rouges des Flandres), travaillé dans les règles de l’art. Et prône le consommer moins, consommer mieux. « 40 jours sans viande, c’est l’occasion réfléchir à la chaîne alimentaire, aux conditions d’élevage et de production. Regardez en Flandre : on y compte plus de porcs que d’habitants et pourtant, vous les voyez vous, les porcs ? Non, car ils passent leur vie enfermés… S’il y a tant de végétariens aujourd’hui, c’est qu’à un moment, le système a dérapé. D’ailleurs j’ai quelques clients végétariens ! Ils adhèrent à ma philosophie et au respect que m’inspire le produit, ils partagent ces valeurs et reviennent donc à la consommation de viande, en douceur ».
Atelier Dierendonck, 24 rue Saint-Catherine, 1000 Bruxelles, 02/669 59 00, www.dierendonck.be
© Heikki Verdrume
« Maturer une viande permet de libérer dans les chairs le gras contenu dans les fibres de collagène, de détendre le muscle et d’exalter ses saveurs. Il y a plusieurs façons de faire maturer une viande. Aux États-Unis, ils la sèchent, c’est du drying. Nous, nous sommes plus des sommeliers ou des affineurs : comme pour un vin ou un fromage, nous allons accompagner la viande à maturité tout doucement, en la surveillant au plus près. Et aussi lui permettre d’exprimer au mieux les parfums de son terroir : l’air que la bête a respiré, l’herbe qu’elle a broutée, le climat dans lequel elle a vécu doivent se ressentir à la dégustation. Mais il faut la travailler pour sublimer tout cela ».
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© Daniil Lavroski
« C’est carrément dangereux, car la pourriture peut très vite se répandre dans la chair. Lorsque nous avons commencé la maturation, nous n’avions pas de chambre ad hoc, nous faisions ça au feeling et nous sommes allés jusqu’à 40% de pertes sèches ! Il existe aujourd’hui des petites chambres de maturation pour particuliers ou professionnels de l’horeca. Mais elles ne sont à mon avis pas assez précises. Chez nous, la chambre (photo) est entièrement automatisée et informatisée : après une semaine au frigo traditionnel, la viande y est placée de deux à huit semaines, où température (jusque 8°C) et humidité sont mesurées et réajustées en permanence ».
© Daniil Lavroski
« Non, les animaux jeunes, de moins d’un an, comme un agneau de lait, un porcelet ou un veau, ne sont pas adaptés à la maturation car la viande ne contient pas encore de collagène, on perd donc toute la structure des fibres. Par contre une vache mi-laitière mi-viande, une bête de six, sept, voir dix ans, je les mets en maturation, selon un timing sur mesure. Une bête de dix ans peut ainsi supporter une maturation de dix semaines. Mais il faut savoir que le goût en sera plus prononcé : je conseille donc à mes clients qui s’initient d’y aller progressivement pour habituer leur palais : d’abord une maturation de quatre semaines, plus de plus en plus longue. C’est une démarche pédagogique longue, un accompagnement et des conseils qui font la différence chez un artisan-boucher ».
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© Daniil Lavroski
« Oui bien sûr ! En ce moment c’est le retour des morceaux oubliés, comme avec les légumes : hampe, joues de porc, onglet… J’essaie aussi de trouver des races locales à l’identité forte, comme l’Aubrac française ou la Rubia Gallega basque. Pour respecter leur origine, j’essaie d’obtenir du beurre local, ou je fais fondre leur gras et le propose aux clients comme graisse de cuisson. En Belgique, les races rustiques sont de plus en plus rares. Je viens de développer, avec les chercheurs de l’Université de Gand, un Minapis Porcus, croisement de deux races naturelles locales. Il était présent entre la côte belge et Gand du temps des Romains, et a disparu. Un fermier l’élève pour nous en plein air, et le nourrit avec des herbes de l’époque. Mais j’avoue que je milite pour la réhabilitation du bon rôti haricots verts du dimanche ! »
© Daniil Lavroski
« Les frigos domestiques n’étant pas toujours à température idéale (0 à 2°C, ndlr), il est préférable de consommer la viande dans les deux jours après l’achat. Comme nos viandes ne contiennent aucun conservateur, si vous ne pouvez les consommer sous 48 heures, congelez-les et faites-les décongeler simplement au frigo, la veille. Une viande issue du secteur industriel supporte mal la congélation, car l’eau qu’elle contient cristallise et se répandra ensuite à la cuisson. Ces bêtes sont « forcées » : les deux derniers mois, on leur donne de la nourriture gorgée d’eau pour qu’elles prennent de la masse artificiellement et se vendent plus cher au poids. Notre Rouge des Flandres, par exemple, est engraissée lentement, pendant 9 mois ».
© Daniil Lavroski
« Il faut d’abord la laisser reposer après son séjour au frigo, car elle se contracte si on la passe du froid au chaud sans transition. Soit en la sortant à température ambiante deux heures avant la cuisson, soit – ma méthode – en la mettant un heure au four à 50°C, sur chaleur tournante. Puis salez-la, poivrez-la et massez-la avec un peu d’huile d’olive. Enfournez ensuite dans un four bien chaud, 240°C, pendant 3 4 minutes pour une cuisson bleue, quatre-cinq minutes pour une viande saignante et six-huit minutes pour une cuisson à point. Le « bien cuit », c’est un crime ! Excepté pour une viande très persillée, d’un certain âge, qui restera juteuse malgré une cuisson plus longue.
Si vous l’avez précuite, inutile de faire reposer votre viande avant de la découper, car les fibres sont bien détendues. Si pas, laissez-la cinq minutes sous du papier aluminium, après avoir ôté l’os s’il y en a un. Coupez la pièce et parsemez de gros sel immédiatement : il fondra au contact de la chaleur. Servez ».
© Heikki Verdrume
« La tendance basse température a fait du mal, car tout le monde, y compris de grands chefs, s’est mis à cuire tout et n’importe quoi à 50°C. Pour certaines bêtes, c’est un non-sens, surtout pour les animaux jeunes. L’intérêt de la basse température est de permettre au gras de pénétrer toutes les fibres, de libérer les saveurs et d’obtenir un résultat moelleux. Or un agneau de lait, un veau, un porcelet n’ont pas encore de collagène : si on les cuit à basse température, la texture de la viande disparaît, on dirait de la mousse ! »
© Daniil Lavroski